AFIS 2024 : entretien avec le directeur régional du groupe des institutions financières d’IFC en Afrique, Aliou Maiga
Journalinfo
Le directeur régional du groupe des institutions financières d’IFC (International Finance Corporation – Société financière internationale) en Afrique, Aliou Maiga, a livré un entretien à la MAP, à l’occasion de l’Africa Financial Summit (AFIS) qui se tient les 09 et 10 décembre à Casablanca.
Dans cet entretien, M. Maiga met l’accent sur la présence des banques marocaines en Afrique et leur rôle dans le développement des services financiers en Afrique de l’Ouest, ainsi que sur la coopération financière sud-sud.
Depuis leur implantation dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, les banques marocaines ont profondément transformé le paysage financier de la région. Selon vous, quels ont été les principaux bénéfices de cette présence marocaine pour les économies ouest-africaines, notamment en termes d’accès au crédit, de financement des entreprises et d’innovation bancaire ?
Le secteur bancaire en Afrique de l’Ouest a subi des transformations structurelles importantes au cours des dernières années. Les banques marocaines ont profité du retrait de plusieurs groupes bancaires internationaux de la région pour acquérir leurs filiales afin de se positionner sur le marché.
Bien qu’elles aient appliqué des stratégies différentes, les banques marocaines n’en détiennent pas moins aujourd’hui de 20% à 30% des parts de marché dans des pays africains comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Nigeria et le Sénégal, pour ne citer que ceux-là.
Les banques marocaines apportent des pratiques, des produits et des technologies bancaires à leurs filiales sub-sahariennes et, à ce titre, elles ont contribué au développement rapide des services financiers en Afrique de l’Ouest ces dernières années.
Leur présence permet d’améliorer l’accès au crédit, d’élargir l’accès au financement du commerce et aux solutions de paiement transnationales, et d’appliquer des solutions innovantes développées pour le marché marocain dans cette région.
En somme, le secteur bancaire ouest-africain s’est amélioré au cours des dix dernières années sur le plan de la performance commerciale, tout comme de la rentabilité et de la sophistication des produits et services proposés, notamment grâce à la numérisation et à la banque mobile.
Malgré leur succès, les banques marocaines opérant en Afrique de l’Ouest sont confrontées à des défis tels que la réglementation, les risques liés à la stabilité macroéconomique et les disparités culturelles. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles auxquels ils sont confrontés et comment peuvent-ils les surmonter pour renforcer leur ancrage dans la région ?
Force est de constater que les banques marocaines se heurtent aux mêmes difficultés macroéconomiques que les autres institutions financières de la région. La fragilité de certaines économies et la concentration des portefeuilles bancaires dans certains secteurs, conjuguées à des exigences réglementaires plus strictes et à l’apparition de nouveaux acteurs bancaires constituent des risques pour toutes les banques de la région.
Sur le plan réglementaire, nous avons noté une plus grande coordination entre les organismes de réglementation en Afrique. Par exemple, Bank Al-Maghrib et la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) collaborent régulièrement dans le domaine de la supervision bancaire.
La coopération financière Sud-Sud est de plus en plus présentée comme un moteur du développement. Quel rôle IFC peut-elle jouer pour faciliter les synergies entre les acteurs financiers marocains et ouest-africains ? Quels secteurs ou projets pourraient bénéficier de cette coopération renforcée ?
IFC entend jouer un rôle important dans la facilitation de la coopération financière Sud-Sud. A ce titre, nous soutenons les acteurs financiers africains dans leur expansion sur le continent pour promouvoir une plus grande inclusion financière et pour mobiliser des capitaux privés au profit des priorités de développement.
Il peut s’agir de fournir des mécanismes de partage des risques aux banques marocaines désireuses d’accroître l’accès des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) ou des petits exploitants agricoles au financement sur des marchés difficiles.
IFC promeut aussi l’harmonisation des réglementations aux niveaux régional et national, et contribue à nouer des partenariats entre les institutions financières marocaines et leurs homologues d’Afrique de l’Ouest.
Nous pouvons cofinancer des projets d’infrastructure, d’énergie et d’agriculture où l’expertise et les ressources du Maroc répondent aux besoins de l’Afrique de l’Ouest, et faciliter les transferts de compétences entre les institutions financières marocaines et leurs homologues ouest-africaines, notamment dans les domaines de la gestion des risques, de la durabilité et de l’innovation.
Alors qu’une grande partie de la population ouest-africaine n’est toujours pas bancarisée, comment les banques marocaines peuvent-elles contribuer à l’inclusion financière dans cette région ? Quels modèles ou partenariats innovants pourraient accélérer cette transformation ?
Il est fondamental d’élargir l’accès des MPME aux financements à l’heure où les difficultés macroéconomiques et les perturbations des chaînes d’approvisionnement freinent la croissance, l’innovation et l’activité économique.
Il s’agit aussi d’un marché largement inexploité pour les banques, avec un déficit de financement de plus de 300 milliards de dollars en Afrique subsaharienne. Et ce marché devient de plus en plus viable grâce à la numérisation, à l’analyse avancée des données, à des modèles commerciaux innovants et aux partenariats entre les banques et de nouveaux acteurs financiers.
La solidité et l’envergure des banques marocaines peuvent jouer un rôle important dans l’élargissement de l’accès des MPME aux financements.
L’année dernière, par exemple, IFC a engagé près de 150 millions de dollars sous forme de prêts au profit de sept filiales de Bank of Africa (BOA) au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Niger, au Sénégal et au Togo, afin d’élargir l’accès au financement d’environ 5 000 petites et moyennes entreprises de la région, dont des entreprises dirigées par les femmes.
L’innovation marocaine peut s’étendre au-delà des frontières du Royaume et contribuer à la sécurité alimentaire en Afrique.
A cet égard, IFC collabore avec SOWIT, une start-up marocaine de technologie agricole (AgTech) et des institutions financières marocaines pour tirer parti des données et de la technologie afin de réduire les risques liés aux investissements nécessaires pour augmenter la production de blé au Maroc.
Nous pensons que ce modèle peut être reproduit à travers l’Afrique subsaharienne, y compris avec d’autres AgTechs africaines, afin d’accroître considérablement les financements indispensables pour l’agriculture, la productivité agricole, les moyens de subsistance des populations rurales et la sécurité alimentaire.
En termes de perspectives, quels sont selon vous les secteurs ou segments financiers en Afrique de l’Ouest qui présentent les plus grandes opportunités pour les banques et les investisseurs marocains ?
Au regard du coût élevé du refinancement et de la rareté des liquidités en monnaie nationale qui inhibent la capacité de prêt de certaines banques ouest-africaines, et compte tenu du fait qu’une grande partie de la population ouest-africaine n’est toujours pas bancarisée, comme vous le soulignez, les possibilités pour les banques marocaines sont nombreuses.
Considérons le financement à grande échelle de projets d’infrastructures d’énergies renouvelables vitales ou encore le marché de produits et services de masse tels que la microfinance, les services bancaires mobiles et les prêts aux MPME.
Continuer d’assurer l’alignement de leurs objectifs commerciaux sur les programmes de développement inclusif et durable des économies ouest-africaines sera clé pour les banques marocaines afin d’assurer le succès de cette coopération sud-sud.